La paralittérature aussi appelée littérature de genre, c’est ce qui est en marge de la littérature. Tu sais… la GRANDE Littérature : Homère, Shakespeare, Molière, Jane Austen, etc.
C’est-à-dire que Tolkien, C.S. Lewis, Patrick Sénécal et Suzanne Collins (entre autres) ne sont pas de la « vraie » littérature parce qu’on ne les classe pas sous la section littérature à la bibliothèque, mais plutôt sous leur genre.
La paralittérature « réfèr[e] [à] une masse hétéroclite d’objets “culturels” qui semblent n’avoir d’autre chose en commun que leur absence prétendue de valeur esthétique. »
— Marc Angenot
Mais qui décide de ce qui est de la Littérature et ce qui n’en est pas ?
Le champ littéraire
Plusieurs acteurs et actrices composent le champ littéraire. Ils et elles donnent de la légitimité à une œuvre, la faisant donc entrer dans la grande famille de la littérature.
Qui en sont les membres ?
Les responsables de la chaine de production du livre en tant que « produit capitaliste » :
- Auteurs ou autrices : personnes qui écrivent l’œuvre
- Maisons d’édition : groupes qui apprêtent l’œuvre pour sa publication et qui la publie
- Groupes de distribution et de diffusion : groupes qui publicisent l’œuvre et qui entrepose et distribuent l’œuvre
- Librairies : institutions qui vendent l’œuvre
- Lecteurs et lectrices : personnes qui lisent l’œuvre
Ceux et celles qui travaillent à donner une légitimité à une œuvre :
- Critiques : personnes qui donnent leur avis sur l’œuvre
- Médias : groupe qui publicise l’œuvre et qui crée un engouement
- Écoles : groupe qui enseigne l’œuvre
- Universités : groupe qui étudie l’œuvre
- Bibliothèques : groupe qui publicise l’œuvre et qui y donne accès
- Académies : groupe qui reconnait les auteurs et autrices
- Prix littéraires : groupe qui fait compétitionner des œuvres et qui crée un engouement
Simon-Pierre Beaudet, Le champ littéraire et la littérature (vidéo très intéressante si tu as 1 h 20 devant toi)
Certains de ces acteurs et certaines de ces actrices ont plus de poids que d’autres. UnE écrivainE dira toujours que son œuvre est merveilleuse, il est un peu dur de croire cette personne. Mais unE libraire ? Pourquoi voudrait-il ou elle te vendre une œuvre pourrie ? L’important pour eux est tout simplement de faire une vente et de te revoir. S’ils ou elles peuvent te convaincre de revenir les voir pour une autre recommandation, ils ou elles ont le jack pot. Donc plus la recommandation est adaptée à ce que tu aimes, mieux c’est pour eux.
Il y a aussi des débalancements de pouvoir au sein même d’une catégorie d’acteurs ou d’actrices. Prix Nobel de la Littérature vs Prix des Libraires ? Le Prix Nobel a certainement plus de poids !
Le prestige d’une œuvre
Mais toutes les œuvres qui font partie de la littérature ne sont pas toutes égales.
Être publié dans les Pléiades est la plus grande reconnaissance qui soit ! Tu sais les livres imprimés sur du papier bible avec des feuilles aux côtés or et la couverture rigide un peu vieillot qu’on garde sous clé dans les librairies ?
Ça :

Mais il faut être mort. Quelques écrivainEs ont réussi à être publiéEs de leur vivant, mais c’est loin d’être une majorité.
L’autre meilleure option est la collection blanche (des COUVERTURES blanches, le livre est simplement crème et rouge).

Après ça, le prestige ne fait que descendre…
Si ton œuvre a été populaire, elle sera mise en format poche. Ce qui peut être considéré comme un bel honneur.
Mais sinon, plusieurs œuvres n’entreront jamais dans la Collection Blanche et encore moins dans les Pléiades. Hunger Games, Harry Potter, Fablehaven (si la série t’intéresse, clique ici pour ma critique), Le journal d’Aurélie Laflamme et on peut en nommer beaucoup d’autres. Parce que ces collections sont réservées pour la Littérature.
Il n’y a pas si longtemps, si tu demandais à un grand acteur ou une grande actrice du champ littéraire la différence entre la Littérature et la paralittérature, ça ressemblait à ça :
La littérature est belle (de par son style : les mots employés, les métaphores, les références) et utile (elle transmet un message souvent moral ou elle aide à la compréhension de la condition humaine). La paralittérature est laide, car son style est simple et direct (sans artifices) et elle est inutile : elle raconte une histoire sans plus, son but est le simple divertissement.
Le GROS problème avec la paralittérature
La chicane concerne notre notion de beauté.
(OK, c’est ici que j’entre dans une partie un peu plus philosophique, accroche ta tuque)
Notre discussion moderne sur le beau s’enracine dans un texte de Platon : Hippias Majeur. Dans ce dialogue Socrate demande à Hippias ce qu’est la beauté en tant que telle. Qu’est-ce que le beau universel ?
Le Cercle des écrivainEs est partenaire des Librairies indépendantes du Québec (LIQ).
Difficile à dire, non ?
Une fleur, c’est beau. Pourquoi ? Parce qu’elle est colorée. Donc les couleurs sont belles ? Oui, mais seulement les palettes de couleurs qui sont harmonisées. Donc l’harmonie est belle ? Oui, mais le chaos a aussi quelque chose de beau (une mer enragée peut être très jolie, l’art abstrait est joli). Donc, si ce n’est pas l’harmonie, qu’est-ce qui est beau ?
Dans ce cas, est-ce la nature qui est belle ? Si oui, est-ce que ça veut dire que rien de ce que l’être humain fait ne peut être beau ? Non…
Tu vois le problème ? Atteindre les bases de la beauté, la beauté en soi, est pratiquement impossible.
Donc, le plus simple est d’utiliser des comparaisons. Cette fleur dans ce parterre est belle, mais celle-là, écrasée dans la rue, est laide. Donc cette fleur est plus belle que celle-là.
Le champ littéraire a alors pris sur lui de continuer ce débat. Or, pour que quelque chose soit considéré comme beau, il faut être capable de le comparer à du laid…
Est-ce que ce que tu lis te rend stupide ?
C’est une autre des accusations contre la paralittérature : elle abrutit les esprits de ceux et celles qui la lisent.
Pourquoi ?
Parce qu’il n’y a pas de message. Il s’agit de divertissement simple. Le lecteur ou la lectrice n’apprend rien, ne retient rien d’important, ne comprend pas davantage sa condition humaine et, surtout, n’en retire aucune réflexion sur la langue ou la culture.
La paralittérature est « un frein, un obstacle à la prise de conscience des conditions sociales et politiques auxquelles étaient soumis ces milieux populaires. Culture populaire, certes, ajoute-t-il, elle est bien dans le cas présent une forme d’aliénation »
— R. Mandrou
Puisque la littérature de genre ne fait rien de bon, elle doit absolument faire du mal, non ?
Mais est-ce vrai que la paralittérature ne porte aucun message ?
Harry Potter a un message d’amitié, non ? Il s’agit d’un jeune garçon qui a perdu sa famille, qui s’en fait imposer une qui le maltraite pour finalement réussir à se créer une nouvelle famille. Parce qu’une famille, ça peut se choisir.
Joli message, non ?
OK, on essaie encore.
Murderbot (clique ici pour ma critique) porte sur la crise identitaire. Murderbot ou AssaSynth ne sait pas qui il est. Il part à la recherche de son identité pour se rendre compte qu’on lui en donne plein, des identités : il est un protecteur, il est un ami, il est de la famille, il est bon… Le message : son identité, on la trouve par le regard de l’autre. « Tu formes ta personnalité par opposition aux autres. Et le monde autour de toi te connait parfois bien mieux que toi-même. »
Joli message, non ?
Alors est-ce vrai que la paralittérature n’a rien à nous apporter ? Non, et c’est ce que le champ littéraire commence à réaliser.
Avec la paralittérature, on démocratise l’écriture.
« L’acte d’écrire et de dire n’est plus réservé aux érudits, à une élite dorée et réactionnaire. La paralittérature est la réponse logique et démocratique à la scolarisation grandissante des jeunes Occidentaux et à l’élargissement d’un nouveau lectorat tourné vers l’avenir. »
— Hugo Léger
Et ça a longtemps fait peur au champ littéraire, parce que si n’importe qui peut dire qu’une œuvre est extraordinaire, si c’est la masse qui crée par elle-même son engouement, si les écrivainEs peuvent maintenant publier leur livre et les distribuer avec le clic d’un bouton… À quoi sert le champ littéraire ?
En bref
Aujourd’hui, une sensibilisation aux non-sens de la Littérature commence à gagner Internet et le débat public. Pourquoi lit-on à l’école que de vieux messieurs blancs morts depuis longtemps ?
Homère, c’est bien. Mais pourquoi pas Sapho : la poétesse antique ?
Shakespeare, c’est bien. Mais pourquoi pas Jane Austen ?
John Steinbeck, c’est bien. Mais pourquoi pas Angie Thomas ?
Je sais que ce ne sont pas des auteurEs qui ont écrit dans des genres semblables ou qui ont écrit à la même époque, c’est encore une fois juste une question que tu te fasses une image dans ta tête.
Peut-être qu’il est temps que l’on redéfinisse ce que l’on entend en tant que société comme Littérature.
Et si le champ littéraire peut déterminer les « classiques », nous aussi en tant que lecteurs et lectrices on peut le faire.
Si tu avais à donner une définition à la littérature, quelle serait-elle ? Partage-la dans les commentaires.
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